EAU - L’eau en agriculture

EAU - L’eau en agriculture
EAU - L’eau en agriculture

L’étude du problème de l’eau en agriculture présente un double intérêt. En premier lieu, l’eau est un facteur essentiel de la production. Il est donc nécessaire de prévoir les besoins des plantes d’une manière globale et la façon dont elles utiliseront l’eau pour faire de la « matière sèche», ce qui modifie le coefficient d’efficacité de cet élément. Ensuite, cette étude permet de faire ressortir, d’une manière particulièrement nette, le rôle du sol. En effet, qu’il s’agisse des précipitations naturelles ou même, sauf quelques cas exceptionnels, de l’irrigation, la durée de ces apports est relativement brève, tandis qu’au contraire la plante se développe d’une façon pratiquement continue et ses besoins sont permanents. C’est parce que le sol va jouer le rôle d’un réservoir, captant l’eau qui lui est fournie et la cédant ensuite au végétal qui l’exige, que la croissance de celui-ci peut présenter la continuité qui vient d’être évoquée.

À ces considérations il faut ajouter certains comportements de l’ensemble eau-sol. Supposons par exemple un sol parfaitement sec et un apport d’eau. Le liquide a tendance à s’infiltrer, mais cette vitesse d’infiltration n’est pas sans limites: si les apports sont trop intenses, une partie du liquide reste à la surface du terrain, il stagne quand il n’y a pas de pentes, ou ruisselle dans le cas contraire, provoquant alors des phénomènes d’érosion capables non seulement d’endommager les terrains cultivés mais même de dégrader les ouvrages d’art, de couper les routes et les voies ferrées. L’intérêt de maîtriser l’eau dépasse donc le cadre de l’agriculture et intéresse bien d’autres secteurs des économies nationales.

C’est également quand les précipitations sont très abondantes, voisines de la limite des possibilités d’infiltration du sol, que celui-ci est gorgé d’eau, c’est-à-dire que cet élément occupe toute la porosité et qu’il n’y a plus de place pour l’air. Alors, mis à part quelques plantes adaptées à ces conditions, les végétaux vont périr; il faut donc assurer l’évacuation de l’excès d’eau présent dans le sol: c’est le rôle des méthodes d’assainissement. On peut, en aménageant la surface du terrain, évacuer l’eau en excès, ou la faire couler en profondeur par des tuyaux de poterie, de matière plastique, pour ne parler que des procédés modernes. Et cet assainissement du sol, s’il permet une bonne croissance des plantes, facilite en outre les travaux de l’agriculteur. En effet, le sol saturé d’eau prend une consistance boueuse qui empêche qu’on le travaille, il ne supporte pas les charges, ce qui retarde l’enlèvement des récoltes.

Dans un terrain où l’eau s’écoule aisément vers la profondeur, soit parce qu’il repose sur un matériau perméable, soit parce qu’il est drainé, on constate qu’une partie seulement de l’eau peut être évacuée et qu’une autre est retenue. On appelle capacité au champ le volume d’eau retenu par l’unité de sol en place ou l’unité de poids de terre. Cette quantité, qui dépend principalement de la composition granulométrique, fixe la limite volumique supérieure du réservoir que constitue le sol. Une partie seulement de cette eau est utilisable par le végétal. En effet, à mesure que la terre se dessèche, le liquide y est retenu avec de plus en plus d’énergie; or la plante ne peut prélever que de l’eau relativement libre. La teneur limite à partir de laquelle les racines ne peuvent plus s’alimenter définit le point de flétrissement .

Comme on peut évaluer l’évapotranspiration maximale de la plante sous un climat donné, et que l’on dispose d’informations assez nombreuses sur les précipitations, on peut établir un bilan prévisionnel. C’est le sol qui fournit la différence quand sa capacité est suffisante, sinon le rendement diminue ou il faut irriguer.

Les chapitres suivants montrent dans quelle mesure ce schéma très simpliste doit être précisé et remanié.

1. Considérations générales sur les besoins et leur satisfaction

On abordera ici quelques traits importants du régime de l’eau qui interviennent dans la production végétale, en particulier certains aspects quantitatifs des besoins en eau des cultures, précisés par des ordres de grandeur d’évaporation dans différentes zones climatiques du monde.

C’est d’abord du manque d’eau que souffre l’agriculture, et aussi du manque d’eau de qualité convenable, celui-ci étant d’autant plus aigu que l’eau est plus rare (ainsi, de graves difficultés immédiates et à venir proviennent de la salinité des eaux d’irrigation, principalement dans les régions arides). Lorsqu’on envisage le globe dans son ensemble, on constate que les zones agricoles se situent là où le climat n’est ni trop sec, ni trop froid; alors apparaît au premier plan le fait bien connu que les végétaux ont besoin d’eau; celle-ci leur est indispensable, comme à tous les êtres vivants.

Origine et nature des besoins

Il faut souligner tout d’abord certaines différences en ce qui concerne l’utilisation de l’eau par le végétal d’une part et par l’homme et les mammifères d’autre part. Si le rôle direct des apports d’eau est surtout d’éviter, pour les uns et pour les autres, la dessiccation de l’organisme en compensant les pertes, chez les mammifères il est indispensable que le débit de ces pertes se maintienne à un niveau suffisamment élevé pour assurer une détoxication, un nettoyage de l’organisme (élimination de déchets dans l’urine et la sueur), ainsi que la régulation thermique. Chez les végétaux au contraire, les pertes d’eau, réalisées en presque totalité par la transpiration, sont avant tout un phénomène parasite, inutile par lui-même ou peu utile; leur compensation par des apports d’eau n’en est pas moins indispensable. Si la transpiration peut avoir quelque effet favorable de régulation thermique, si, de plus, elle intervient utilement dans la circulation de la sève, s’il importe que l’humidité du sol se maintienne à un niveau convenable pour assurer un bon contact entre les racines et le sol, et même jouer un rôle vecteur pour des aliments que le végétal retire du sol, les quantités d’eau mises en jeu à ces effets pourraient être faibles. Ainsi on peut faire prospérer des plantes en serre avec un transit d’eau réduit; au siècle dernier, Schlœsing a pu estimer que la transpiration n’était pas indispensable, observant que, dans une atmosphère saturée de vapeur d’eau, l’absorption des substances minérales et la croissance se produisaient aussi bien que dans le cas d’une forte transpiration; lorsqu’on nourrit des plantes avec des solutions minérales, on constate que l’absorption des différentes substances dissoutes n’est pas proportionnelle à celle de l’eau, loin de là (on sait depuis longtemps qu’il y a une large indépendance entre l’absorption de l’eau et celle des sels minéraux). Quel est alors le phénomène qui semble condamner les plantes à transpirer de façon souvent abondante, alors que cette transpiration est fréquemment peu utile? Ce sont les échanges gazeux avec l’atmosphère, indispensables en ce qui concerne le gaz carbonique et l’oxygène: ils entraînent un transfert parasite de vapeur d’eau. Dans l’obscurité, la plante respire; mais, en général, c’est à la lumière qu’aux échanges respiratoires se superposent des échanges plus intenses qui assurent la photosynthèse (celle-ci peut mettre en jeu des quantités de gaz carbonique et d’oxygène décuples de celles qui sont intéressées par la respiration, et souvent bien plus); à l’occasion de ces échanges gazeux utiles, l’atmosphère enlève de l’eau aux végétaux, sous forme de vapeur, et d’autant plus que les échanges gazeux sont plus actifs et que le pouvoir asséchant de l’atmosphère est plus élevé. Une absorption d’eau compensatrice évite que le végétal se dessèche, maintient son état d’hydratation, ainsi que la turgescence qui en dépend.

Les quantités d’eau dont ont besoin les formations végétales sont donc destinées surtout à compenser la transpiration, celle-ci étant pour une grande part un phénomène simplement parasite d’autres transferts gazeux, dont le mécanisme sera exposé dans le chapitre 2.

Évaluation quantitative des besoins

On ne considérera ici l’évaporation qu’à l’échelle de surfaces suffisamment grandes, par exemple un terrain de forme compacte couvrant plusieurs hectares; c’est l’évaporation de l’ensemble du terrain, avec sa végétation, qui sera envisagée (on emploie le mot «évapotranspiration», au lieu d’«évaporation», pour désigner cette évaporation globale, lorsqu’on veut rappeler qu’une fraction de l’eau évaporée a transité à travers les végétaux).

Le trait fondamental à retenir ici, c’est que, dans des conditions climatiques données, cette évapotranspiration dépend, bien sûr, de l’approvisionnement en eau, mais que, quel que soit cet approvisionnement, elle ne dépasse pas un maximum défini à quelques dixièmes près (20 p. 100 par exemple); cela introduit l’idée de compensation entre les évaporations qui s’effectuent à partir de divers corps évaporants: si on considère une plante prise individuellement dans une formation végétale, par exemple un arbre dans une forêt, l’eau apportée à la formation végétale permet, pour une part, de restituer à cet arbre ce qu’il perd par transpiration mais aussi, par ailleurs, de réduire cette transpiration sans freiner l’activité respiratoire et photosynthétique; dans la mesure où la forêt dans son ensemble évapore suffisamment, le pouvoir évaporant de l’air à l’égard de cet arbre se trouve plus faible que si les arbres environnants souffraient de sécheresse.

Évaporations annuelles

Envisageons donc globalement la quantité d’eau évaporée en un an et exprimons-la par unité d’aire: on dira par exemple que telle surface a évaporé 6 000 m3 d’eau par hectare, ce qu’il est plus simple de convertir en hauteur d’eau liquide (épaisseur de la lame d’eau); ainsi 6 000 m3/ha = 600 mm.

Si les précipitations sont, tout au cours de l’année, abondantes et fréquentes (on pourrait prendre comme critère que, chaque mois, les précipitations dépassent l’évaporation d’un bassin rempli d’eau, convenablement installé), des surfaces qui diffèrent par leurs couvertures végétales mais qui, toutes, portent une végétation bien couvrante et active (du moins lorsque les conditions thermiques le permettent), et qui sont soumises à des conditions climatiques peu différentes, évaporent par an des hauteurs d’eau voisines, qu’il s’agisse de forêts, de pâturages ou de cultures (les écarts semblent être la plupart du temps inférieurs à 20 p. 100); de plus, les lacs situés dans la même région évaporent eux aussi des lames d’eau peu différentes des précédentes, bien que, semble-t-il, généralement supérieures (cf. infra ).

En passant à des régions plus sèches, on trouve des évaporations plus faibles, limitées par le manque d’eau (en même temps la condition précédemment indiquée concernant la végétation devient irréalisable: la végétation s’éclaircit); mais si, dans ces cas, on a la possibilité d’irriguer, on peut, avec des irrigations suffisantes, établir des couverts végétaux denses qui, sur des grandes étendues, évaporent autant, ou presque, que les lacs situés éventuellement dans la région. De ce qui précède se dégage la notion d’«évaporation potentielle»: bien que l’emploi de cette expression puisse être critiqué, on nommera ici «évapotranspiration potentielle» ces valeurs maximales, proches de l’évaporation des lacs, atteintes lorsque la végétation est bien alimentée en eau (des études plus précises utilisent une terminologie plus détaillée; cf. chap. 2).

Dans le tableau 1 sont données quelques évaluations proposées dans les années soixante par des hydrologues pour les évaporations de lacs situés sous différentes latitudes (il est fort possible que de telles évaluations soient entachées d’erreurs de l’ordre de 100 mm/an et même plus). On y constate qu’en s’éloignant de l’équateur – représenté, à défaut de l’évaporation d’un lac, par l’évapotranspiration d’un bassin versant (cf. légendes des tabl. 1 et tabl. 2) –, on trouve d’abord des évaporations supérieures à cette évapotranspiration (1 185 mm/an): le lac Tchad, sous climat sahélien, très sec pendant la plus grande partie de l’année, évapore 2 200 mm; et on estime que plus au nord, sous climat saharien, l’évaporation serait supérieure. Puis l’évaporation des lacs baisse à mesure qu’on va vers des régions de plus en plus froides. Signalons que, sur les Grands Lacs d’Amérique du Nord et sur le Ladoga, les hivers très froids, provoquant la formation de glaces épaisses, contribuent à abaisser l’évaporation annuelle: on pourrait dire qu’en hiver le lac «emmagasine du froid», d’autant plus que cette saison est plus rigoureuse, puisque ultérieurement une partie des apports énergétiques de l’atmosphère est absorbée par la fusion des glaces.

Les spécialistes attribuent aux océans des évaporations annuelles qui se situent dans les mêmes ordres de grandeur que celles des lacs. Ainsi les parties des océans qui évaporent le plus dépasseraient 2 000 mm/an, atteignant exceptionnellement 2 500 mm; elles se situent principalement au voisinage des tropiques, alors qu’à proximité de l’équateur on propose des évaporations annuelles situées entre 1 000 et 1 500 mm; l’évaporation tomberait en dessous de 800 mm/an pour les latitudes supérieures à 450 dans les deux hémisphères; mais il ne s’agit là que d’indications très générales, car la circulation des eaux dans les océans, amenant des eaux froides dans des régions où l’atmosphère est chaude, et vice versa, fait que la répartition des évaporations est très différente de celle des conditions atmosphériques; les mers fermées, ou presque fermées, au contraire, paraissent évaporer à peu près comme les lacs voisins (l’influence de leur salinité est faible).

Évaporations mensuelles

Il faut examiner aussi comment varie l’évaporation au cours de l’année; là encore apparaît une règle simple, du moins en première approximation: on constate que, pendant chacun des mois de l’année, les évaporations de surfaces irriguées, suffisamment étendues, ayant des couverts végétaux différents, situées dans la même région climatique, sont relativement voisines les unes des autres (souvent à 20 p. 100 près, ou à 20 mm près). Il est plus difficile de donner une règle approchée valable pour l’évaporation des lacs de la même région; il semble que l’évaporation de certains varie de mois en mois en restant proche de l’évapotranspiration potentielle, alors que pour d’autres ce n’est que le total annuel qui serait proche de l’évapotranspiration potentielle correspondante (effets d’inertie thermique et de circulation des eaux entre la surface du lac et les parties inférieures).

Pour des végétations différentes, placées approximativement dans des conditions d’évapotranspiration potentielle (cf. infra ), et dont on vient de voir que, sous le même climat, leurs évapotranspirations mensuelles étaient voisines, il est parfois difficile de préciser quelles sont celles qui évaporent le plus en un mois; il semblerait néanmoins que le riz donne des évaporations exceptionnellement élevées, supérieures à celles des lacs, et dépassant de plusieurs dixièmes (peut-être 30 à 50 p. 100) ce qu’évaporent d’autres cultures irriguées.

On caractérise, précisons-le, les conditions de l’évapotranspiration potentielle en disant que la végétation, active et bien couvrante, ne manque pas d’eau; ainsi, l’évapotranspiration n’est pas sensiblement accrue si on effectue des irrigations plus abondantes et plus fréquentes. Il faut néanmoins faire une restriction au sujet de la fréquence: les indications numériques données ici concernent des irrigations qui ne comportent pas plus d’un ou deux apports d’eau par semaine, car dans la pratique actuelle les apports sont en général moins fréquents; si au contraire on irriguait chaque jour, par aspersion, aux heures les plus chaudes, on atteindrait peut-être des évaporations notablement supérieures à celles qui sont retenues ici; on ne peut exclure a priori que pour les mois les plus secs ces nouvelles évapotranspirations dépassent les précédentes de plusieurs dixièmes.

Le tableau 3 montre, à partir de résultats de mesures faites au Danemark et à proximité de Tunis, comment l’évapotranspiration potentielle peut varier au cours de l’année.

En résumé, sur une grande part des terres du globe, l’évapotranspiration potentielle annuelle est située entre 400 et 2 000 mm; les activités agricoles sont en général peu développées dans les régions extérieures à ce domaine: au-dessous de 400 mm, une grande partie de l’année est trop froide, au-dessus de 2 000 mm, le climat est chaud et très sec, ce qui exige des irrigations abondantes, et on ne dispose de l’eau nécessaire que pour des surfaces relativement faibles.

En ce qui concerne les évapotranspirations potentielles mensuelles, elles peuvent être négligeables pour les mois les plus froids; elles atteignent pour certains mois 300 mm dans des oasis.

On conçoit que les conditions d’approvisionnement en eau qui donnent à l’évapotranspiration sa valeur maximale sont celles qui permettent aux végétaux de maintenir les échanges gazeux les plus actifs avec l’atmosphère; elles sont donc souvent particulièrement favorables pour les cultures. La mesure de l’évapotranspiration dite potentielle est ainsi une évaluation du besoin total net en eau pour beaucoup de cultures, pendant leurs phases de végétation active. Compte tenu de la façon dont les sols cultivés emmagasinent l’eau et de la façon dont les végétaux exploitent les réserves ainsi constituées, on obtient une évaluation approximative des besoins en eau d’irrigation en confrontant mois par mois l’évapotranspiration potentielle et les précipitations, l’irrigation devant compenser l’insuffisance de celles-ci.

Agriculture et ressources hydriques

La nécessité de compenser l’insuffisance des précipitations est ressentie depuis des époques reculées. Dans l’Antiquité, des empires d’agriculteurs se sont établis et maintenus pendant des millénaires dans des régions très arides; leur économie reposait sur l’irrigation, et celle-ci était alimentée par des fleuves apportant les eaux de régions lointaines; la prospérité du pays dépendait pour une bonne part de la façon dont on construisait et entretenait canaux et digues. Encore aujourd’hui, c’est l’eau des cours d’eau qui constitue la principale ressource pour corriger le fait que la répartition des précipitations dans le temps et dans l’espace est loin d’être celle qui serait la plus favorable à l’agriculture. Les autres ressources ne doivent en effet pas être surestimées: ainsi, bien que certaines nappes d’eau «fossile» constituent des réserves considérables, leur exploitation avec des débits très supérieurs aux débits de renouvellement offre des possibilités bien moindres que ce qui a été parfois suggéré; ainsi encore, en conduisant des eaux marines (non dessalées) vers des dépressions intérieures, dans des régions arides, on rencontrerait bien des difficultés pour réaliser des opérations dont les conséquences risqueraient d’être plus fâcheuses qu’utiles pour l’agriculture.

L’utilisation de l’eau débitée par les cours d’eau ne se réalise pas, bien sûr, sans difficulté, et il faut souligner que les époques où les besoins en eau d’irrigation sont les plus élevés sont souvent celles où les eaux sont les plus basses; d’autre part, l’écoulement moyen de nombreux cours d’eau comporte une fraction importante due à des crues si fortes qu’il faut les évacuer le plus vite possible vers la mer; pour limiter ces divers inconvénients, on construit des réservoirs, et on favorise la recharge de nappes souterraines.

Le problème actuel

La nécessité d’accroître fortement l’irrigation et de la perfectionner est d’autant plus impérieuse qu’une modification rapide de la tendance démographique présente est très improbable: on peut prévoir qu’au début du siècle prochain la population mondiale dépassera 6 milliards d’êtres humains; malgré le développement d’autres ressources alimentaires: pêche, cultures de micro-organismes, etc., on sera contraint, quels que soient les à-coups des marchés agricoles, de produire le plus possible sur une grande partie des terres cultivables du monde, ce qui exige un grand effort dans le domaine de l’irrigation.

On ne peut donner qu’un ordre de grandeur des surfaces irriguées (la notion de «surface irriguée» est vague; on utilise souvent des notions plus précises basées sur les équipements et sur les quantités d’eau évaporée). On estime que les surfaces irriguées approchaient 250 millions d’hectares en 1970, dont peut-être le cinquième en Chine; on prévoit qu’elles seront de l’ordre de 400 millions d’hectares en l’an 2000. Les consommations d’eau correspondantes, de l’ordre de 5 000 m3 par an et par hectare, sont très variables selon les régions (en raison surtout des conditions climatiques). L’augmentation considérable de production alimentaire qu’on attend de ces nouvelles irrigations risque de ne pas couvrir les besoins qui résulteront de l’accroissement de la population, et pourtant cela suppose une augmentation de consommation d’eau importante par rapport aux autres besoins en eau (cf. EAU – Le problème de l’eau dans le monde). La situation est critique; c’est pour cela que l’U.N.E.S.C.O. a décidé la réalisation d’études constituant le programme de la Décennie hydrologique internationale, puis le Programme hydrologique international.

En France, les surfaces équipées pour l’irrigation avaient dépassé le million d’hectares avant 1980; on prévoit qu’elles devraient être de l’ordre de 2 millions d’hectares en l’an 2000; la concurrence sévère qui oppose l’agriculture à d’autres demandeurs d’eau ne semble donc pas devoir s’atténuer; les difficultés sont accrues par le fait que la répartition des ressources ne s’accorde avec celle des besoins ni dans l’espace, ni dans le temps – c’est ainsi que les besoins d’irrigation les plus élevés interviennent en période estivale, lorsque beaucoup de nos cours d’eau ont leurs débits les plus faibles. L’irrigation, qui absorbe la plus grande partie de la consommation d’eau de l’agriculture, est traditionnellement une base de la production agricole dans la partie du pays qu’on peut qualifier de «semi-aride»: la France méditerranéenne; or l’effort actuel ne porte pas seulement sur la France méditerranéenne, car l’irrigation tend à prendre une grande place dans le reste du pays, même en grande culture, en culture fourragère et en production herbagère. Cette évolution intéresse non seulement la France, mais des pays du nord-ouest de l’Europe: dans ces pays où les conditions climatiques et les techniques modernes ont permis d’atteindre, sans irrigation, des rendements élevés, on recherche une nouvelle intensification de la production et surtout sa stabilisation interannuelle, grâce à l’irrigation (dite «de complément»); en effet, les aléas climatiques provoquent de graves fluctuations de la production agricole d’une année à l’autre, et l’irrigation est au premier rang des moyens à mettre en œuvre pour atténuer ces fluctuations.

Spécificité des besoins agricoles

Nous venons de voir que l’agriculture se situe dans les premiers rangs pour la demande, c’est-à-dire pour les quantités d’eau à prélever sur les ressources, son besoin le plus important étant d’irrigation, mais de plus il faut souligner un caractère particulier de la consommation d’eau par l’irrigation: alors que l’industrie recycle l’eau qui lui est attribuée, puis la restitue en majeure partie après l’avoir plus ou moins dévalorisée (pollution, élévation de température, etc.), l’irrigation transfère l’eau à l’atmosphère sous forme de vapeur. L’accroissement de l’évaporation provoquera peut-être un accroissement des précipitations, mais il ne semble pas que cette compensation partielle puisse atteindre une valeur qui la rende économiquement importante; on peut néanmoins envisager que l’extension de l’irrigation sur de vastes territoires provoque une baisse des besoins par unité de surface, moins par accroissement des précipitations que par abaissement de l’évapotranspiration potentielle. Quoi qu’il en soit, la nécessité d’étendre l’irrigation est un aspect dominant du problème des besoins en eau pour les années à venir.

Enfin il ne faut pas perdre de vue ce qui donne à l’agriculture une place à part vis-à-vis du problème de l’eau: avant même d’être demanderesse, elle intervient dans la formation de ce qu’on a nommé les ressources, constituées par la fraction des précipitations qui a échappé à l’évaporation; or celle-ci s’exerce sur l’eau retenue par la végétation et les couches supérieures du sol. Les quantités évaporées diffèrent selon que le sol porte une végétation ou n’en porte pas, selon l’état de la végétation, en particulier selon son enracinement, et les différences dépendent aussi des conditions climatiques dans lesquelles se présentent ces éventualités: en France, en hiver et au début du printemps, alors que l’évapotranspiration potentielle n’est pas encore élevée, toutes les évaporations restent relativement faibles et diffèrent assez peu les unes des autres; c’est à l’époque suivante que les différences sont bien marquées entre sol nu, végétation faiblement enracinée, végétation à enracinement profond et dense. Ainsi certaines cultures d’«hiver», dont les périodes de végétation vont de l’automne au printemps suivant ou au début de l’été, entraînent des évapotranspirations moins élevées que celles qui occupent le sol pendant la saison chaude.

En bref, on sait que les potentialités de l’agriculture ainsi que le développement et l’abondance de la végétation naturelle, envisagés à l’échelle de régions suffisamment vastes, dépendent au premier chef du climat, et en particulier de l’alimentation en eau, celle-ci étant déterminée avant tout par les précipitations et par les facteurs qui règlent l’évaporation et la transpiration; mais à leur tour la végétation et les cultures influent sur les bilans hydriques: ainsi les quantités d’eau évaporées et transpirées dépendent des options de l’agriculture, même en l’absence d’irrigation. D’autre part, l’agriculture intervient dans l’amélioration des ressources hydriques en utilisant pour l’irrigation certaines eaux polluées.

Avant de clore ce chapitre, il faut évoquer d’autres possibilités: celles que présente l’exploitation des ressources hydriques des océans. Il est des industries qui s’accommodent de l’eau de mer, et c’est un des facteurs d’industrialisation des régions côtières. Pour l’agriculture, certains climats littoraux ont des avantages bien connus: douceur des températures, ensoleillement, humidité de l’air, mais l’eau de mer ne peut être utilisée qu’une fois dessalée. Un grand effort est fait actuellement dans le domaine du dessalement (citons les installations de Nouakchott); le coût de l’eau dessalée devrait baisser, en raison des progrès techniques et de l’accroissement de la production: c’est ainsi qu’en Californie il pourrait se rapprocher d’année en année du coût croissant de l’eau naturellement douce qu’on utilise pour irriguer des cultures de grande valeur, eau qu’on fait venir de régions lointaines. Voilà une nouvelle voie d’exploitation de la mer qui aidera peut-être considérablement à faire face aux problèmes de l’eau, et même à ceux de l’eau d’irrigation, mais cela dépend beaucoup de l’évolution des coûts de l’énergie.

Il n’empêche que le monde arrive à une époque critique en ce qui concerne aussi bien les ressources en eau que les ressources alimentaires, et ces deux questions sont intimement liées. Il s’agit d’améliorer la production, de développer l’irrigation, en rentabilisant le mieux possible une eau de plus en plus rare.

2. Utilisation de l’eau par les plantes cultivées

L’utilisation de l’eau par les plantes correspond à la nécessité de maintenir au niveau le plus élevé les échanges indispensables aux synthèses tout en gardant les tissus dans un état d’hydratation compatible avec une activité métabolique intense.

De cette double «obligation» naît, à travers la plante, un flux d’eau allant du sol jusque dans l’atmosphère ambiante, sous la dépendance de facteurs et de mécanismes essentiellement physiques. Une part infime de l’eau mise en mouvement participe directement aux processus physiologiques déterminant la croissance.

Par contre, tout déséquilibre entre la vitesse de transit et l’intensité de la demande climatique se répercute sur le métabolisme et la régulation des échanges, de telle sorte que la croissance se trouve malgré tout étroitement liée à l’«alimentation en eau». La connaissance des relations de cause à effet entre ces deux phénomènes permet de mettre en œuvre les techniques correctives les plus efficaces ou de choisir les systèmes d’exploitation les mieux adaptés au milieu.

L’eau dans la plante

La présence de l’eau dans la biosphère terrestre a conditionné la vie sous sa forme actuelle. Tous les processus vitaux, dans le règne végétal comme dans le règne animal, nécessitent un état d’hydratation élevé des tissus actifs; l’eau peut représenter plus de 90 p. 100 de la matière vivante. Une humidité inférieure à 50 p. 100 est caractéristique de tissus morts n’ayant plus éventuellement qu’un rôle mécanique ou d’organes de résistance en état de vie ralentie.

Dans les plantes supérieures, entre autres, le rôle de l’eau est manifeste à tous les niveaux possibles de l’analyse, dans les processus les plus simples apparemment, comme dans les plus complexes:

– La rigidité des tissus, la multiplication et l’élongation cellulaires, c’est-à-dire la croissance, la pénétration racinaire sont sous la dépendance des pressions exercées par les solutions internes sur les membranes.

– L’eau constitue la phase dispersante de la matière vivante. Dans cette phase sont dispersés: en solutions vraies, des sels minéraux, des oses, des acides aminés, formes de migration et matières premières du métabolisme; en solutions colloïdales, des macromolécules, en particulier des protéines fibrillaires formant le réseau de l’ultrastructure du protoplasme indispensable à l’activité vitale, mais qui peut s’altérer par la dessiccation. En suspension dans l’eau se trouvent aussi des constituants cellulaires à architecture complexe, prenant une part importante aux réactions du métabolisme; cette suspension constitue le biosome .

– L’eau est également un facteur d’orientation des molécules protoplasmiques et elle est à la base de la formation des membranes biologiques constituées le plus souvent d’une couche hydrophobe axiale bordée de deux couches hydrophiles, disposition jouant un rôle important dans la pénétration des substances.

– Elle constitue le milieu réactionnel de la cellule; les molécules de la matière vivante ne peuvent réagir que dissoutes ou émulsionnées; les réactions biochimiques s’arrêtent lors de la déshydratation.

– Enfin l’eau est un métabolite essentiel puisque ce sont les hydrogènes de H2O qui permettent la réduction du gaz carbonique dans la photosynthèse, en même temps qu’est libéré son oxygène dont dépend d’ailleurs l’existence du règne animal.

Cependant, il n’y a aucune commune mesure entre la quantité d’eau utilisée dans le métabolisme, ou même celle retrouvée à l’état liquide dans la plante, et la quantité absorbée. La plante transpire, et l’intensité de cette transpiration est telle qu’elle pose seule le problème de l’alimentation en eau des cultures (tabl. 4).

La transpiration, «mal nécessaire»

Les plantes s’approvisionnent en gaz carbonique par la simple diffusion de ce gaz de l’atmosphère vers les chloroplastes, à proximité desquels la concentration reste très faible; l’efficience de ce mécanisme est d’autant plus grande que la surface de contact plante-atmosphère est elle-même plus grande et les résistances s’opposant à la diffusion plus faibles; les organes assimilateurs sont disposés en lames minces dont les parois sont perforées d’une multitude d’ouvertures, les ostioles stomatiques. Tout semble donc organisé au mieux pour faciliter les échanges gazeux avec l’atmosphère ambiante. Cette situation, bénéfique pour l’approvisionnement en gaz carbonique, réunit aussi les conditions les plus favorables à l’évaporation de l’eau d’imbibition des parois cellulaires bordant les chambres sous-stomatiques; l’état de liaison de l’eau à ce niveau est bien inférieur à celui de l’eau dans l’atmosphère extérieure, le gradient de «tension» d’humidité peut atteindre en effet plusieurs centaines d’atmosphères par centimètre carré. Ainsi s’explique, par un processus purement physique, la «transpiration» stomatique à laquelle on peut ajouter la transpiration cuticulaire, d’intensité moindre du fait de la résistance rencontrée sur ce cheminement. Ces pertes d’eau pourraient conduire, en quelques heures, à une dessiccation mortelle pour les tissus foliaires. Fort heureusement, elles ne sont que la cause première d’un déplacement général qui conduit l’eau à travers la plante, depuis le sol jusqu’aux surfaces d’évaporation, le long d’un réseau de films et de capillaires.

De l’amont à l’aval, c’est-à-dire du sol aux feuilles, l’état de liaison augmente; ces gradients de tension sont aussi la cause physique du mouvement.

Tant que le débit n’est pas limité par la disponibilité de l’eau dans le substrat ou par la conductivité en un point quelconque du parcours, la transpiration reste sous la dépendance des facteurs climatiques, et en particulier de l’énergie disponible à l’évaporation (il faut 600 calories environ pour vaporiser un gramme d’eau). À l’échelle du champ cultivé, on arrive ainsi à la notion d’évapotranspiration potentielle (ETP) développée plus haut. Cette donnée, caractéristique écologique essentielle, doit être utilisée avec discernement. Quand il s’agit d’évaluer les besoins en eau des cultures, elle suppose en effet que toute l’énergie disponible est interceptée par le couvert végétal et que les surfaces d’échanges sont fonctionnelles; il n’en est pas ainsi sur tout le cycle de végétation; l’évolution de ETP au cours du temps dessine seulement la «courbe enveloppe» des évapotranspirations réelles maximales (ETM) des différentes cultures (tabl. 5).

Présentée de cette façon, la transpiration n’apparaît à aucun moment procéder d’un quelconque mécanisme physiologique; elle semble être un simple corollaire de l’organisation des plantes pour une meilleure exploitation du médiocre réservoir de gaz carbonique que constitue l’atmosphère.

On a pensé pouvoir attribuer à ce phénomène un rôle dans la régulation thermique des végétaux; en réalité, une bonne part de cette régulation est déjà assurée par les échanges caloriques de type convection-advection. Par contre, il reste possible, mais encore à démontrer, que le flux transpiratoire ait une influence sur l’alimentation de la plante en certains métabolites minéraux comme le potassium. Quoi qu’il en soit, si l’on prend conscience de l’importance des masses d’eau mises en jeu par rapport aux quantités nécessaires «stockées» dans le couvert, on comprendra qu’un faible dérèglement dans le transport peut avoir des conséquences très importantes sur le comportement des cultures.

Le sol et l’absorption de l’eau

Les tensions de l’eau dans la plante, en corrélation avec le degré d’hydratation, ne peuvent augmenter indéfiniment sans entraîner des troubles létaux; pour les cultures courantes, la valeur limite des tensions, de l’ordre d’une trentaine d’atmosphères par centimètre carré dans les feuilles, est nécessairement plus faible (16 atmosphères environ) dans les racines. Si l’eau du sol est soumise à des tensions de cette importance, le déplacement d’eau ne peut plus se produire entre le sol et la plante.

Cette considération permet déjà de fixer un seuil inférieur d’humidité utilisable dans le sol, qui correspond au point de flétrissement permanent (cf. chap. 3). Mais bien avant cet état de liaison critique (liaison en rapport avec les forces d’adsorption sur la phase solide, les forces capillaires, osmotiques), les possibilités de débit au niveau du sol sont limitées.

Tout d’abord, le débit est fonction de l’importance du gradient de tension entre le sol et la racine; ce gradient sera d’autant plus faible que la tension de l’eau du sol se rapprochera du point de flétrissement.

D’autre part, le débit dépend aussi de la conductivité du sol pour l’eau, qui peut être représentée par la surface des films d’eau dans une section unitaire perpendiculaire au sens du déplacement; cette surface diminue évidemment avec l’humidité du sol; les différents sols, selon leur constitution physique, présentent des conductivités différentes pour une même tension d’humidité.

Enfin, et c’est peut-être l’essentiel, la possibilité de débit par section unitaire de sol étant fixée par l’état de liaison de l’eau et par la conductivité, le débit global au niveau de la plante varie dans de très larges limites avec la surface totale disponible au déplacement de l’eau dans le sol; il dépend ainsi de l’importance du volume de sol soumis à la dessiccation et de la répartition dans ce volume des surfaces d’absorption racinaires; cela peut s’exprimer également de la façon suivante: le sol peut être desséché plus fortement avant que n’apparaisse une limitation de débit lorsque le volume exploité et l’intensité d’exploitation racinaire sont plus forts.

Il est bien évident qu’une même possibilité de débit, correspondant à des caractéristiques d’humidité, de sol, d’exploitation données, pourra ou non satisfaire la demande ETM selon le niveau de celle-ci; ces critères ne permettent donc pas à eux seuls de caractériser un état de sécheresse.

Les notions de «réserve utilisable» et de «réserve facilement utilisable», couramment employées dans la pratique, sont une synthèse assez grossière de ce qui vient d’être présenté.

Consommation d’eau et production

Relations générales

Lorsque le débit devient insuffisant au regard de la demande climatique, les plantes perdent très rapidement une partie de l’eau qu’elles contiennent. L’altération de l’état d’hydratation du milieu interne se traduit immédiatement par un ralentissement du métabolisme, en particulier du processus de photosynthèse; puis, avec un décalage de quelques minutes, intervient la fermeture des stomates. Les possibilités d’échange avec l’atmosphère sont amoindries, et le débit liquide s’équilibre à nouveau avec la transpiration; ce mécanisme de défense permet la survie de la plante, mais limite en même temps l’approvisionnement en gaz carbonique qui emprunte les mêmes voies de circulation. On explique ainsi qu’il existe une relation de simple proportionnalité entre la transpiration (T) et la production de matière sèche (MS) pendant une période donnée (fig. 1).

Bien entendu, la relation s’arrête au niveau de la transpiration et de la production maximales fixées par le climat et la plante. Le coefficient de proportionnalité, qui est aussi coefficient d’efficacité de l’eau transpirée, dépend également du climat et de la vitesse de croissance du végétal pendant la période considérée.

À l’échelle du champ, on ne peut faire la part de ce qui est transpiration ou évaporation directe du sol dans la masse globale d’évapotranspiration; le niveau de l’alimentation en eau est alors évalué en comparant l’évapotranspiration (ETR), qui se réalise selon la disponibilité de l’eau, aux besoins ETM définis précédemment. La production de matière sèche globale est liée à ETR de façon linéaire (fig. 2):

avec une valeur limite:

Nous retrouvons, à une nuance près, la relation entre transpiration et production; une partie de l’eau b /a paraît évaporée en pure perte. L’importance de cette eau «inefficace» varie en sens inverse du degré de couverture du sol; elle serait donc liée à l’évaporation directe du sol.

Le déficit de production:

est par contre proportionnel au déficit d’évapotranspiration qui caractérise bien un état de sécheresse. L’intensité de la sécheresse peut se chiffrer par le rapport (ETM 漣 ETR)/ETM.

L’efficacité a d’un apport d’eau, égal au plus à (ETM 漣 ETR), est, comme dans le cas précédent, sous la dépendance de ETM et de la vitesse de croissance pendant chacune des phases de végétation.

a est d’autant plus élevé que ETM est plus faible et la vitesse de croissance plus forte. La production maximale, au contraire, peut varier dans le même sens que ETM. Toutes deux sont soumises à un certain nombre de facteurs communs, entre autres le rayonnement direct incident et l’état du couvert.

D’une façon générale, le déficit de production globale enregistré sur un cycle complet de végétation est égal à la somme des déficits élémentaires accumulés au cours du temps selon les hasards de la sécheresse. Certaines plantes semblent cependant échapper à cette règle; elles sont capables de prendre une vitesse de croissance accélérée après une période de sécheresse et d’annuler ainsi une partie du déficit de croissance subi; c’est le cas en particulier de la betterave sucrière.

Périodes critiques

Les variations de vitesse de croissance du végétal dont on a signalé l’importance dans les relations entre alimentation en eau et production de matière sèche totale doivent également être prises en considération lorsqu’on s’intéresse au développement d’un organe particulier: grains, fruits, racines; les courbes de croissance de chaque organe ou ensemble d’organes sont décalées dans le temps (fig. 3); dans une première phase s’élaborent les structures de fabrication et de transit, puis celles de stockage, finalement le stockage proprement dit. Ces différentes phases peuvent se superposer partiellement.

La logique suggère que la sécheresse a un effet d’autant plus marqué sur le développement d’un organe particulier qu’elle se situe dans une période de croissance plus active de cet organe; l’observation, tout en confirmant ce raisonnement, montre son insuffisance, en particulier quand on considère les organes de reproduction; d’une part, l’état des structures d’approvisionnement ou de fabrication (racines, feuilles) n’est pas totalement indifférent au développement ultérieur des structures de stockage; d’autre part, la récolte en grains ou fruits dépend en grande partie du nombre d’ébauches florales et de fleurs qui peuvent se former en un stade précis, plus ou moins bref, du développement. Cette période est d’ailleurs d’autant plus importante qu’elle est plus courte (c’est par exemple le cas du maïs, fig. 4); on la qualifie de stade critique ; elle est suivie de la période de croissance et de stockage, dite phase sensible .

Dans ces conditions, le rendement dépend non seulement de l’intensité de la sécheresse (ETM 漣 ETR)/ETM, mais encore et surtout de sa localisation dans le temps.

Pédoclimat et potentialités culturales

Apprécier les potentialités de production offertes aux différentes cultures quant au facteur alimentation hydrique revient à établir un parallèle entre la répartition de leurs «besoins en eau» (ETM) dans le temps et celle des disponibilités hydriques. Le premier terme peut être estimé à partir de ETM = k ETP, ETP étant lui-même calculé à partir des données climatiques. Le deuxième terme comprendra essentiellement la pluie pendant la période de végétation et la quantité d’eau utilisable contenue dans le sol au début de cette période. On peut faire apparaître ainsi, à partir des normales climatiques, un risque moyen de sécheresse dans chacune des phases de végétation d’une culture, correspondant également à un risque de déficit de production qu’il est possible d’estimer avec une certaine précision si l’on connaît par ailleurs les caractéristiques de croissance de la culture. Il convient également d’accorder une grande attention au risque existant pendant la période critique.

On peut ainsi mettre en évidence un des éléments les plus importants pour le choix des assolements.

Lutte contre la sécheresse

La sécheresse, caractérisée par la différence ETM 漣 ETR, résulte du déséquilibre entre la demande ETM et la disponibilité de l’eau fixant le niveau de ETR. On peut envisager de corriger ce déséquilibre soit en réduisant la demande, soit en augmentant la disponibilité.

Il est très difficile de jouer sur la demande, facteur climatique, sans mettre en jeu des quantités d’énergie énormes; aussi les techniques utilisées sont-elles des palliatifs:

– Le brise-vent, en dehors de la protection mécanique qu’il apporte, peut avoir également pour effet de diminuer la quantité d’énergie d’advection parvenant à la culture; son utilisation reste délicate, car elle provoque parfois une élévation de la température au niveau du couvert.

– On a montré aussi que l’on pouvait diminuer le débit demandé aux plantes en pratiquant des arrosages d’«ambiance» à très faible dose et très fréquents; ces arrosages ne modifient pratiquement pas l’humidité du sol, mais l’énergie incidente est consommée dans une vaporisation extérieure à la plante.

Pour améliorer la disponibilité de l’eau, la technique utilisée sous les formes les plus diverses consiste à accroître l’humidité du sol par l’irrigation. On agit ainsi à la fois en diminuant les forces de liaison de l’eau et en augmentant la conductivité du sol.

En outre, toutes les techniques culturales entraînant l’approfondissement de la couche exploitable ou l’amélioration de l’implantation racinaire augmentent en même temps la quantité d’eau utilisable et sa disponibilité.

3. Aménagement des eaux pour les besoins des plantes

On vient de voir que le développement d’un végétal dépend étroitement de son milieu. L’étude des relations existant entre les plantes, l’eau, le sol et l’atmosphère (écologie, physiologie végétale) conduit à conclure que, pour permettre la croissance optimale du végétal, il est nécessaire de se rendre maître du facteur «eau».

Dans ces conditions, on doit, dans certains cas, augmenter artificiellement la quantité d’eau que la nature met à la disposition des plantes et, dans d’autres cas, il est indispensable, pour obtenir des récoltes satisfaisantes, d’enlever un excès d’eau dans le sol.

La première de ces deux opérations, qui peuvent d’ailleurs se succéder dans le temps sur un même terrain, s’appelle l’irrigation ; la seconde est un assainissement ou drainage .

L’irrigation

Avantages de l’irrigation

Le principal rôle de l’irrigation est de fournir l’eau nécessaire à la végétation. Les besoins en eau des plantes varient avec les espèces végétales et les conditions du milieu; comme ordre de grandeur, on admet que dans les régions tempérées une plante a besoin, en plus de son eau de constitution, de 300 à 500 kg d’eau d’évaporation pour fabriquer 1 kg de matière sèche. Il faut, en outre, tenir compte de l’évaporation physique du sol.

Les quantités globales d’eau ainsi utilisées pour la transpiration physiologique de la plante et l’évaporation physique du sol (évapotranspiration) peuvent être estimées à partir des données climatologiques; elles sont très importantes: pour la France, par exemple, elles représentent, en moyenne, 4 000 m3 par hectare et par an pour le blé, 7 000 pour la luzerne. Si donc, pendant la période de végétation, l’apport des précipitations atmosphériques et les réserves en eau du sol sont insuffisantes pour couvrir les besoins de l’évapotranspiration, il devient indispensable de les compléter artificiellement. C’est là le rôle prépondérant de l’irrigation dans les régions arides ou semi-arides où les pluies sont peu abondantes; c’est le cas également dans les régions considérées habituellement comme «humides» et dans lesquelles les déficits en eau apparaissent certaines années et à certaines périodes de la végétation, nécessitant des irrigations dites de complément.

L’irrigation exerce sur les plantes une action calorifique : c’est ainsi, par exemple, qu’une couche d’eau étendue sur une prairie à l’automne ou au début du printemps peut la préserver des gelées. C’est également le but de l’aspersion anti-gel qui consiste à réaliser, en période de gel, une pluviométrie fine et régulière sur la culture à protéger. On conserve ainsi continuellement en présence les phases «eau» et «glace», ce qui maintient la température voisine de 0 0C et évite la destruction des tissus végétaux. À l’inverse, l’eau peut aussi refroidir le sol, et, de ce point de vue, il est toujours préférable de ne pas arroser avec de l’eau plus froide que celui-ci.

L’irrigation favorise la destruction des animaux et de certaines plantes nuisibles (insectes, mauves, bruyères), à condition que l’irrigation soit bien conduite, c’est-à-dire que l’eau ne stagne nulle part.

L’irrigation exerce sur le sol une action chimique : en premier lieu, elle facilite les oxydations parce qu’elle aère le sol; si l’eau n’est pas stagnante, la tranche d’eau qui pénètre dans le sol prend la place de l’air chargé d’anhydride carbonique et, quand elle s’infiltre plus profondément, elle est remplacée à son tour par de l’air chargé d’oxygène; on dit couramment qu’à ce point de vue une irrigation vaut un labour.

En second lieu, l’irrigation dissout les matières fertilisantes du sol et les met à la disposition des plantes; il en résulte que lorsqu’on irrigue il faut augmenter la dose d’engrais. Associée au drainage, l’irrigation peut permettre le dessalement des terrains salés.

Enfin, l’eau contient en dissolution des substances fertilisantes ou peut apporter en suspension des limons; parfois on incorpore artificiellement de telles substances à l’eau d’arrosage, réalisant ainsi des irrigations fertilisantes .

Paramètres de l’irrigation

Il s’agit de préciser ici les quantités d’eau nécessaires et les principes suivant lesquels ces quantités seront apportées aux cultures. L’évaluation des quantités d’eau nécessaires peut se faire de plusieurs manières:

– soit en hauteur d’eau H (en mètres ou en millimètres), ce qui est commode pour comparer avec les précipitations atmosphériques;

– soit en volume V exprimé en mètres cubes par hectare et par an, ce qui permet de connaître facilement la surface irrigable, avec une réserve d’eau donnée;

– soit en supposant que l’écoulement de l’eau sur les terrains à arroser est continu de nuit et de jour pendant toute la saison des arrosages et en évaluant en litres par seconde et par hectare la quantité d’eau déversée pendant cette saison; c’est l’évaluation par le débit fictif continu ; elle est très employée car elle permet, notamment, de déterminer immédiatement le nombre d’hectares arrosables avec une eau courante ou, réciproquement, de calculer le débit que doit assurer un canal d’irrigation pour arroser une surface donnée.

On peut d’ailleurs passer aisément d’un système d’évaluation à un autre. Si on désigne par q le débit fictif continu, exprimé en litres par seconde et par hectare, T la durée en secondes de la saison des arrosages, H la hauteur d’eau d’irrigation en mètres, V le volume apporté en mètres cubes par hectare pendant la saison des arrosages, on aura:

Cela étant posé, les paramètres qui interviennent pour fixer les bases de l’irrigation dépendent essentiellement du climat, de la nature de la plante cultivée, de celle du sol et du système d’irrigation utilisé.

Paramètres climatiques

Ce sont les paramètres essentiels qui interviennent pour fixer les quantités d’eau nécessaires; ces quantités sont d’autant plus grandes que la température est plus élevée (augmentation de l’évaporation physique du sol et physiologique de la plante) et que la durée d’éclairement est plus longue (augmentation de la transpiration végétale); le vent a également une influence.

De nombreuses formules ont été proposées pour estimer l’importance de l’évapotranspiration en fonction des facteurs climatiques; une des plus employées est celle proposée par Turc (1961):

dans laquelle ETP est l’évapotranspiration potentielle exprimée en mm par mois; K un coefficient numérique dont la valeur peut être prise égale à 0,40 (0,37 pour le mois de février); t la température moyenne du mois considéré (en 0C); Ig la valeur moyenne mensuelle de la radiation solaire globale (en petites calories par cm2 de surface horizontale et par jour); elle est directement fonction de la durée d’éclairement.

Nature de la plante cultivée

Il est évident que les différentes espèces végétales n’ont pas les mêmes besoins en eau, mais, dans la pratique de l’irrigation, il faut considérer le complexe «sol-plante»; dans ces conditions, les variations des besoins en eau dues au seul facteur «plante» s’estompent, et la demande de l’évapotranspiration dépend surtout des paramètres climatiques mis en évidence plus haut.

On a vu, dans le chapitre précédent, que l’analyse de l’influence de l’espèce végétale sur les besoins en eau faisait apparaître l’existence de périodes critiques dans la vie du végétal; durant ces périodes, la plante est particulièrement sensible à une insuffisance d’approvisionnement en eau. Ainsi, pour les céréales, la période critique est la quinzaine suivant l’apparition des inflorescences mâles; pour la betterave sucrière, la phase du développement prévalent de la racine; pour la pomme de terre, le début de la tubérisation. Compte tenu de l’existence de telles périodes, il est nécessaire de faire varier dans le temps la quantité d’eau apportée à la culture; on y parvient effectivement en réalisant l’irrigation «à la demande».

Nature du sol

Elle intervient surtout sur les modalités d’application de l’eau plutôt que sur les quantités globales nécessaires. De ce point de vue, on peut dire qu’irriguer c’est, en somme, remplir d’eau, en partie et dans une proportion optimale, le réservoir constitué par la tranche supérieure du sol explorée par les racines. Il faut, pour cela, que l’eau s’infiltre, qu’elle reste emmagasinée dans le sol et que ce dernier puisse la mettre à la disposition de la plante.

Les propriétés du sol ici considérées sont donc celles qui concernent ces trois éléments:

Pouvoir filtrant du sol : ce facteur est explicité par la vitesse de filtration, soit K, exprimée en m/s et pouvant se définir comme la hauteur d’eau qui s’infiltre verticalement par seconde, à travers une couche de sol, sous l’influence d’une charge très faible. Ce paramètre peut se mesurer sur place ou sur des échantillons prélevés avec grande précaution et transportés en laboratoire où est effectuée la mesure de K. La connaissance de ce paramètre est indispensable pour préciser le débit de l’irrigation, de manière que ce débit ne dépasse pas celui que le sol peut absorber par infiltration, afin d’éviter les pertes d’eau par ruissellement vers les colatures du réseau d’irrigation.

Possibilités d’emmagasinement de l’eau : lorsqu’on laisse une tranche d’eau s’infiltrer dans le sol, une partie, constituée par l’eau libre, le traverse, s’écoule vers les couches profondes et va alimenter la nappe; elle est perdue pour la culture. Une seconde fraction est retenue dans le sol par les forces d’adsorption et de capillarité; cette quantité d’eau qui reste contenue dans le sol ressuyé est caractérisée par la capacité de rétention du sol Cr définie par le rapport du poids de l’eau Pe contenue dans un certain volume de sol ressuyé au poids Ps du volume correspondant de sol sec, soit: Cr = Pe /Ps . La capacité de rétention se détermine au laboratoire, à partir d’un échantillon de sol prélevé sur le terrain. Elle est essentiellement fonction de la finesse des éléments du sol et est de l’ordre de 0,30 à 0,50 pour un sol argileux, 0,15 à 0,20 pour un sol limoneux, 0,06 à 0,10 pour un sol sableux, ce qui revient à dire qu’une argile peut retenir 40 p. 100 de son poids d’eau et un sable seulement 8 p. 100.

Possibilités de mise à disposition de la plante de l’eau du sol : la plante ne peut utiliser qu’une fraction de la quantité d’eau mise ainsi en réserve dans le sol et correspondant à la capacité de rétention. On sait, en effet, que, lorsque la teneur en eau du sol atteint une valeur minimale correspondant au point de flétrissement Cf , la plante ne peut plus prélever l’eau du sol et se flétrit. On définit ainsi le point de flétrissement par le rapport Cf = P e /Ps , où P e est le poids de l’eau contenue dans un volume donné de sol en dessous duquel la plante ne peut plus prélever l’eau nécessaire à son alimentation et se flétrit, Ps le poids du volume correspondant de sol sec.

En définitive, la plante ne pourra extraire, dans la tranche de sol explorée par les racines, que la quantité d’eau correspondant à la différence entre la capacité de rétention Cr et le point de flétrissement Cf ; cette différence Cr 漣 Cf est parfois désignée sous le terme de capacité utile du sol pour l’eau .

Le but de l’irrigation sera précisément de maintenir le taux d’humidité entre ces deux limites Cf et Cr et, périodiquement, de combler le déficit par un apport d’eau convenable pour ramener le taux d’humidité à sa limite supérieure admise, c’est-à-dire celle qui correspond à la capacité de rétention Cr .

Système d’irrigation

Il intervient en ce sens qu’il faut d’autant moins d’eau qu’elle est mieux employée; or, tous les systèmes d’irrigation n’utilisent pas également les eaux. On caractérise ce facteur par l’efficience du système d’irrigation, qui est le rapport du volume d’eau effectivement apporté pour satisfaire les besoins de l’irrigation au volume d’eau dont il faut disposer à l’origine du réseau. C’est en somme le rendement de l’ensemble du système d’irrigation; il est toujours inférieur à l’unité en raison des pertes d’eau qui se produisent au cours du transport jusqu’à la parcelle à irriguer et dans la parcelle même.

Modalités d’application de l’eau

On a défini les éléments permettant d’évaluer le volume global d’eau nécessaire pour satisfaire les besoins de l’évapotranspiration, déduction faite des apports naturels (pluies) et de la réserve d’eau utilisable de la couche supérieure du sol. Il s’agit maintenant de préciser comment ce volume global doit être apporté à la culture.

En effet, l’évapotranspiration est un phénomène continu; or l’eau est évidemment apportée de manière discontinue. On devra donc utiliser le sol comme un réservoir qu’on remplit périodiquement et qui, entre deux arrosages consécutifs, met à la disposition de la culture les quantités d’eau nécessaires.

Pratiquement, deux systèmes sont adoptés: la distribution par rotation et la distribution «à la demande».

La distribution par rotation ou par horaire d’arrosage est adoptée traditionnellement sur les anciens périmètres alimentés par canaux. Comme on doit alors utiliser de façon continue le débit du canal principal alimentant le périmètre irrigué, on est amené à établir un plan de répartition, c’est-à-dire de distribution de l’eau entre les parcelles; ce plan comporte entre ces parcelles une permutation circulaire appelée rotation. Les éléments de cette rotation (débit réel à donner par hectare, dose d’arrosage ou volume à fournir par hectare à chaque arrosage, durée d’un arrosage et nombre d’arrosages par saison) sont déterminés à partir des éléments définis précédemment.

Toutefois, ce système présente de nombreux inconvénients résultant essentiellement de son manque de souplesse. En effet, l’horaire d’arrosage du périmètre irrigué est fixé de manière immuable au début de la saison des arrosages. Il ne permet pas de faire varier les quantités d’eau apportées à la culture, d’une part dans le temps, pour tenir compte des variations des besoins en eau des plantes au cours de leur période végétative, de l’existence des périodes critiques définies précédemment ou de l’occurrence d’une période pluvieuse permettant de réduire temporairement les quantités d’eau d’irrigation, et, d’autre part, dans l’espace, pour tenir compte des variations des caractéristiques hydrodynamiques des sols à l’intérieur du périmètre irrigué, conditionnant les débits et les doses d’arrosage qui doivent donc pouvoir être modulés.

Pour ces différentes raisons, on substitue progressivement au système par rotation le système de distribution à la demande , qui permet à l’irrigant de disposer, à tout moment, de n’importe quel volume pendant la durée nécessaire. Il faut, évidemment, que les ouvrages de transport et de distribution (stations de pompage, canaux, canalisations) aient des dimensions suffisantes pour pouvoir transporter et distribuer les débits correspondant aux besoins maximaux de pointe; il faut également que, lorsque personne n’arrose, l’eau ne soit pas perdue; on y parvient en distribuant l’eau par des canalisations fermées sous pression ou en réglant automatiquement le débit des canaux.

De cette manière, l’irrigant n’est plus obligé de se plier au système rigide d’un horaire fixé au début de la campagne, et il peut modifier les modalités de l’irrigation (notamment la fréquence des arrosages) pour suivre exactement les besoins en eau des cultures, de manière à maintenir constamment le taux d’humidité de la tranche superficielle du sol explorée par les racines entre une limite supérieure correspondant à la capacité de rétention et une limite inférieure correspondant au point de flétrissement ou, mieux, par sécurité, à un taux un peu supérieur.

Ce système de distribution à la demande, associé à la vente de l’eau au volume effectivement consommé et au système d’irrigation par aspersion, est adopté, notamment en France, sur les réseaux d’irrigation modernes (canal de Provence, région du Bas-Rhône et du Languedoc, coteaux de Gascogne).

Moyens de se procurer l’eau d’irrigation

D’une façon générale, on peut les classer en deux groupes, suivant que l’eau est amenée sur le périmètre dominé par gravité ou par élévation (pompage).

La solution par gravité, la plus simple, consiste à dériver l’eau d’un cours d’eau dont la cote de la surface libre peut être éventuellement surélevée à l’aide d’un barrage de dérivation. Le régime de la rivière doit être tel qu’on soit certain de disposer du débit correspondant aux besoins de pointe qui surviennent généralement à la période d’étiage du cours d’eau. On peut ainsi être conduit à accumuler l’eau dans un réservoir artificiel (barrage-réservoir de grande ou moyenne importance, lac collinaire de dimension plus modeste).

Lorsque la première solution n’est pas possible, on établit une station de pompage permettant l’élévation des quantités d’eau nécessaires qui peuvent être des eaux superficielles ou souterraines. Compte tenu des volumes d’eau importants nécessités par les irrigations, le pompage contribue à augmenter le prix de revient de l’opération, ce qui limite la hauteur d’élévation économiquement admissible.

Vente de l’eau d’irrigation

Plusieurs systèmes de vente sont employés:

Vente au temps : c’est un système très ancien, encore pratiqué sur certains vieux canaux espagnols.

Vente à la surface : on paie une somme déterminée par hectare arrosé; ce système présente l’inconvénient d’inciter les irrigants à prendre trop d’eau.

Vente au litre continu pendant la saison des arrosages : l’irrigant s’abonne à un débit continu déterminé et, avec cette eau, il arrose ce qu’il veut et comme il l’entend, dans le cadre de l’horaire d’arrosage établi comme il a été indiqué plus haut.

Vente au volume : on fait payer l’eau proportionnellement au volume réellement prélevé en tête de chaque propriété; ce système nécessite évidemment de disposer un compteur sur chaque prise ou branchement particulier. La vente au volume se prête particulièrement bien au système de distribution de l’eau à la demande et permet une très sensible économie de l’eau, l’irrigant ne prenant que les volumes strictement nécessaires aux époques convenables. Ce système est adopté sur les réseaux d’irrigation modernes.

Transport de l’eau destinée aux irrigations

L’eau captée par l’ouvrage de prise est amenée sur la surface à arroser, que l’on appelle le périmètre arrosable ou périmètre dominé, par un ouvrage nommé branche mère ou tête morte (fig. 5) et qui, suivant les circonstances, peut être un canal, une canalisation en charge ou une galerie souterraine. Arrivée sur le périmètre arrosable, la tête morte prend le nom de canal principal; celui-ci est tracé à la partie supérieure du périmètre.

De ce canal partent, sur les crêtes, des canaux secondaires dont chacun dessert une zone primaire; chaque canal secondaire peut alimenter directement les rigoles du système d’irrigation employé qui déversent l’eau sur le terrain; ou bien, s’il s’agit de grandes étendues, il peut alimenter des canaux tertiaires desservant chacun une zone secondaire. Ces canaux tertiaires peuvent, à leur tour, alimenter les rigoles d’irrigation ou bien des canaux quaternaires, etc.

Les canaux sont établis sur les crêtes, l’eau déversée ultérieurement en excédent par les rigoles du système d’irrigation utilisé dévale les pentes et se rassemble dans les thalwegs où elle est recueillie par des rigoles et fossés de colature qui se jettent dans les canaux d’évacuation, subdivisés comme les canaux d’amenée.

Pour diminuer les pertes d’eau par infiltration dans les parois et le fond des canaux en terre, on réalise des revêtements étanches (béton, bitume) ou des canaux artificiels préfabriqués (béton armé, amiante-ciment) posés sur le sol ou reposant sur des supports maçonnés (canaux autoportés), ce qui permet de leur donner une pente différente de celle du sol. Pour traverser les routes et chemins, on utilise des siphons (fig. 6).

Le transport de l’eau en canaux présente un certain nombre d’inconvénients (emprise de terrains, tracé long et contourné pour conserver la pente convenable, siphons); aussi emploie-t-on de plus en plus des canalisations sous pression pour amener l’eau jusqu’aux parcelles. Suivant les cas, on utilise des canalisations enterrées à basse pression, munies de prises commandées par des vannes et alimentant les canaux de distribution ou les rigoles d’arrosage des parcelles (système californien) ou bien, sur les réseaux modernes d’irrigation par aspersion, le réseau de distribution est constitué de canalisations sous pression (3 à 5 bars), enterrées, alimentant des bornes d’irrigation munies de vannes, compteurs, limiteurs de débit et réducteurs de pression et permettant le branchement des canalisations mobiles desservant les appareils d’arrosage par aspersion.

Distribution et répartition de l’eau d’irrigation

Pour conduire l’eau jusqu’aux parcelles et la répartir sur le terrain, on utilise plusieurs dispositifs hydrauliques appartenant aux trois groupes suivants:

Partiteurs : ces dispositifs permettent de diviser en plusieurs fractions l’eau d’un canal pour alimenter des canaux dérivés. Le partiteur le plus simple est constitué par des déversoirs à nappe libre; les seuils en sont à la même cote et la répartition de l’eau se fait proportionnellement à la largeur de chaque déversoir (fig. 7). On peut également installer dans le canal un bec fixe ou mobile divisant la masse d’eau en deux tranches de largeur l 1 et l 2 (fig. 8). Ce type de partiteur a été perfectionné, en particulier pour éviter la fraude, en obligeant un ressaut hydraulique à se produire au droit du volet V, grâce à un seuil S sur le fond du canal (fig. 9); on réalise ainsi le partiteur à ressaut .

Modules : ce sont des dispositifs destinés à laisser passer une quantité d’eau déterminée et constante quel que soit le régime du canal alimentaire. Un module simple peut être constitué par un déversoir, un orifice ou une vanne (fig. 10) dont les éléments sont judicieusement calculés. Toutefois, ces trois dispositifs ne peuvent donner un débit constant que si le plan d’eau dans le canal alimentaire reste à une cote constante; dans le cas contraire, le débit varie et le dispositif doit être modifié ou réglé. Pour pallier ces inconvénients, on utilise le module à masque (fig. 11), dont le débit reste pratiquement constant à 5 p. 100 près pour des variations appréciables h du niveau amont N (de 1 à 2); par ailleurs, la présence du ressaut interdit la fraude de l’usager qui chercherait à augmenter le débit de sa prise en approfondissant la rigole qui dessert sa propriété.

Vannes et barrages : lorsqu’on doit dériver l’eau d’une rigole sur le terrain à arroser, on barre provisoirement la rigole à l’aval des parcelles à irriguer en utilisant des vannes coulissant dans des glissières, des plaques de tôle que l’on enfonce dans les parois et le fond de la rigole, ou bien une bâche en toile imperméabilisée ou en matière plastique fixée à une tringle reposant sur les deux berges de la rigole (fig. 12).

Modes et systèmes d’irrigation

L’utilisation des eaux peut être faite de plusieurs façons, correspondant chacune à un mode déterminé d’arrosage (ruissellement, submersion, infiltration, aspersion). Pour irriguer suivant un mode donné, on aménage le sol de différentes manières; à chacune d’elles correspond un système d’irrigation. Les différents modes et systèmes d’irrigation figurent au tableau 6.

On se limitera ici à l’irrigation localisée (ou irrigation goutte à goutte) et à l’irrigation par aspersion qui est le mode adopté sur les réseaux modernes.

L’irrigation localisée ou irrigation goutte à goutte ou micro-irrigation

Ce système d’irrigation consiste à apporter l’eau filtrée, éventuellement enrichie en éléments fertilisants, directement à la surface ou à l’intérieur du sol jusqu’au voisinage immédiat de la plante, par application à basse pression (de l’ordre de 1 bar) et à très faible débit (de l’ordre de quelques litres par heure).

Un réseau d’irrigation goutte à goutte comporte, de l’amont à l’aval (fig. 13):

– une unité de tête implantée à proximité du point d’eau et comportant un compteur, un vannage, un injecteur d’engrais, des appareils de contrôle automatique, des manomètres, des filtres, un régulateur de pression et un limiteur de débit;

– une canalisation principale alimentant les porte-rampes;

– les porte-rampes constitués de canalisations souples ou rigides, posées sur le sol ou enterrées, alimentant les rampes;

– les rampes constituées de canalisations en matière plastique disposées dans les rangs de la culture et portant les goutteurs;

– les goutteurs qui sont les appareils de distribution de l’eau comportant un orifice de très faible diamètre (de l’ordre de 0,7 à 2 mm) ou un tube capillaire; ils délivrent un débit de l’ordre de 2 à 10 litres par heure sous une pression de l’ordre de 1 bar.

La fraction du sol humidifiée se trouve ainsi à proximité immédiate de la plante; elle a la forme d’un bulbe à la périphérie duquel se concentrent les sels contenus éventuellement dans l’eau et qui sont ainsi maintenus éloignés des racines, à condition toutefois que l’arrosage soit suffisamment continu pour entretenir l’humidité du bulbe.

Ce système d’irrigation localisée permet une sensible économie d’eau par suite de la réduction des pertes par évaporation et de la réduction de surface de sol humidifiée; si l’irrigation est bien conduite, il n’y a pas de perte par ruissellement ou par percolation profonde. On constate une diminution de la prolifération des insectes et des maladies cryptogamiques, résultant de la réduction de l’humidité atmosphérique, et de la meilleure efficacité des traitements par pulvérisation, car on évite le lessivage des solutions antiparasitaires que provoque l’aspersion. Les pratiques culturales sont facilitées du fait que les arrosages ne gênent pas les autres travaux tels que le travail du sol, les traitements ou les récoltes. Enfin, le système se prête facilement à une automatisation par préréglage de la durée de fonctionnement ou du volume délivré à chaque arrosage; la mise en marche et l’arrêt peuvent être déclenchés automatiquement en fonction du taux d’humidité du sol.

Toutefois, en raison de son principe et de la constitution du réseau, le système d’irrigation localisée est surtout utilisé pour les cultures en ligne, essentiellement les cultures maraîchères et fruitières.

L’irrigation par aspersion

Ce mode d’irrigation, applicable à toutes les cultures, (sauf toutefois le riz qui est justiciable du mode d’irrigation par submersion), présente les avantages suivants:

– L’action oxydante de l’eau est maximale.

– On réalise une importante économie d’eau qui tombe en pluie fine et s’infiltre en totalité; il est, par suite, inutile d’aménager un réseau de colature; en outre, comme l’eau n’a pas à se déplacer sur le sol, on évite les gros débits que nécessitent les terrains perméables pour que le ruissellement soit assuré et, ainsi, il n’y a pas d’infiltration dans le sous-sol, c’est-à-dire pas de perte en profondeur. C’est le système d’irrigation qui a la plus grande efficience; on évalue en général à 50 p. 100 l’économie d’eau réalisée par rapport à l’irrigation par ruissellement.

– L’irrigation par aspersion convient à tous les terrains arrosables, quelles que soient leurs pentes et leur perméabilité, puisque l’eau n’a pas à s’y déplacer et que l’on peut régler facilement les paramètres de l’arrosage (débit et dose à l’hectare). L’aspersion présente donc pour l’utilisateur une grande commodité de conduite et de contrôle; la formation technique des irrigants est plus simple et plus rapide que celle que requiert l’utilisation des autres systèmes.

– Aucun aménagement préalable du sol à arroser n’est nécessaire; aucun canal, aucune rigole ne vient gêner l’évolution des structures foncières. Il en résulte une extension très rapide des cultures irriguées dans un périmètre équipé pour l’arrosage par aspersion, ce qui favorise la rentabilisation des investissements réalisés pour cet équipement.

On doit toutefois signaler quelques inconvénients de l’aspersion: elle augmente l’évaporation qui provoque un refroidissement des plantes; pour cette raison, il est déconseillé d’arroser pendant les heures très chaudes de la journée; l’eau donnée en pluie tasse le sol et provoque la formation d’une croûte superficielle; l’aspersion favorise le développement des mauvaises herbes; enfin, elle demande beaucoup de main-d’œuvre et une installation d’amenée d’eau assez coûteuse.

Quoi qu’il en soit, le mode d’irrigation par aspersion est adopté sur les périmètres modernes et est appelé à se développer largement dans l’avenir.

Du point de vue technique, l’aménagement d’une zone arrosée par aspersion comprend un réseau de canalisations d’eau sous pression ainsi que des appareils d’aspersion.

Réseau de canalisations d’eau sous pression

La mise en pression de l’eau est réalisée par un réservoir de mise en charge et, sur les périmètres irrigués de quelque importance, le réseau de distribution est constitué de canalisations enterrées alimentant des bornes d’irrigation situées à proximité des parcelles à irriguer et munies chacune de robinet-vanne, compteur, limiteur de débit et réducteur de pression. L’agriculteur branche sur ces bornes des canalisations amovibles, en alliage léger ou en matière plastique, posées sur le sol, munies de joints spéciaux rapides, très facilement mises en place, démontées et transportées d’un point à un autre de la zone à irriguer.

Appareils d’aspersion

On peut les classer en deux catégories suivant leur pression de service:

a) Appareils à basse pression (1 à 3 bars).

L’appareil à basse pression le plus fréquemment utilisé pour l’irrigation en grande culture est l’asperseur (fig. 14), qui est un ajutage avec ou sans brise-jet, piqué sur la canalisation ou placé à l’extrémité d’un support vertical; il peut être fixe ou muni d’un dispositif à palette oscillante qui, sous l’action du jet, provoque la rotation de l’appareil.

On utilise également la rampe d’arrosage (fig. 15) qui est plutôt réservée aux cultures maraîchères et florales.

b) Appareils à haute pression (supérieure à 3 bars).

Il s’agit d’appareils permettant d’arroser des surfaces importantes, se prêtant bien à une automatisation de fonctionnement, et réduisant ainsi la main-d’œuvre nécessaire. Les principaux appareils de ce type sont les suivants:

– le canon automoteur ou «enrouleur », constitué d’un chariot ou traineau portant une lance coudée d’environ 300 sur la verticale et projetant un jet puissant dispersé par un déflecteur qui provoque également la rotation de la lance d’un angle supérieur à 1800, jusqu’à 2400. Le chariot est tiré très lentement par un câble ou par la canalisation d’alimentation qui s’enroule sur un tambour placé à l’extrémité de la parcelle et qui est actionné par un moteur hydraulique auxiliaire. Le canon automoteur permet ainsi l’irrigation d’une surface rectangulaire allongée (fig. 16).

l’arroseur géant (fig. 17) est constitué de deux rampes symétriques par rapport à l’axe vertical formé par la canalisation d’alimentation; l’une des rampes porte des asperseurs et l’autre un canon d’extrémité; l’ensemble tourne autour de l’axe de symétrie par réaction du jet du canon et permet l’arrosage d’une surface circulaire dont le diamètre peut atteindre 150 à 200 m.

Le pivot-système (fig. 18) comprend une canalisation horizontale de grande longueur (plusieurs centaines de mètres) portant des asperseurs et soutenue par des bâtis métalliques appelés «tours», montés sur roues; entre deux tours successives, la canalisation est soutenue par des haubans. La canalisation est alimentée à une de ses extrémités (pivot) par un élément de conduite verticale muni d’un joint tournant. Le mouvement de rotation de l’ensemble autour du pivot est commandé par la tour d’extrémité (tour pilote), dont la vitesse est fonction de la durée et de l’intensité de l’arrosage désiré; les autres tours restant immobiles, l’angle qui se forme au niveau de la deuxième tour à partir de la tour pilote provoque la mise en marche du moteur (électrique ou hydraulique) de cette deuxième tour qui se place ainsi dans l’alignement du pivot et de la tour pilote, et ainsi de proche en proche jusqu’à la dernière tour, la plus proche du pivot.

Cette grande machine d’irrigation est utilisée sur des surfaces importantes de plusieurs dizaines d’hectares.

Autres utilisations de l’aspersion

En mélangeant à l’eau du fumier broyé et du purin, on réalise des irrigations fertilisantes (purinage) sur les pâturages et les prairies. Grâce à l’importante aération résultant de la dispersion du jet, les phénomènes d’oxydation sont favorisés et permettent d’obtenir une épuration biologique naturelle de certaines eaux résiduaires d’industries agricoles (beurrerie, distillerie).

Enfin, il faut rappeler que la réalisation d’une très faible pluviométrie (2 à 4 millimètres par heure soit 20 à 40 mètres cubes par heure et par hectare), associée à une très grande finesse des gouttes, permet de lutter efficacement contre le gel (cf. supra ).

L’assainissement des terres

On groupe généralement sous le terme d’assainissement des terres les opérations d’assèchement et de drainage qui consistent à débarrasser le sol des eaux surabondantes.

Effets et causes d’un excès d’eau dans le sol

Indépendamment de l’incidence de ces opérations sur l’amélioration de la salubrité publique, l’eau en excès dans les terrains cultivés entraîne, du point de vue purement agricole, de graves inconvénients: les terres gorgées d’eau sont asphyxiantes et froides; elles sont le siège de fermentations anaérobies qui contribuent à en dégrader la structure; l’application des façons culturales est rendue plus difficile, car, en hiver, ces terres sont humides, se ressuient lentement, et on n’a souvent pas le temps de donner les façons culturales indispensables; en été, les terres mal assainies sont dures comme de la pierre.

L’opération qui consiste à rendre ces terres cultivables est un drainage qui, suivant la technique utilisée, peut être superficiel ou souterrain. En permettant l’évacuation de l’eau en excès dans la couche superficielle du sol, le drainage entraîne une aération du sol («un drainage vaut un labour»), favorise la nitrification, réchauffe le sol, permet d’entrer plus souvent sur les terres, qui, après assainissement, opposent une résistance moindre au passage des instruments de culture.

L’excès d’eau dans le sol peut avoir soit une origine météorique (les eaux de pluies s’accumulent dans les dépressions, dans les terres imperméables, où l’infiltration est insignifiante, et à pente très faible), soit une origine souterraine (nappe souterraine provoquée, par exemple, par un niveau trop élevé d’une rivière ou d’une retenue de barrage qui entretient dans le sol une humidité néfaste).

Quantités d’eau à évacuer

La quantité d’eau à évacuer ou débit spécifique du drainage s’exprime généralement en litres par seconde et par hectare en tenant compte de la pluviométrie, de la fraction qui s’évapore ou s’infiltre dans les couches profondes et de la rapidité avec laquelle on désire évacuer les eaux. De ce point de vue, on doit rappeler que le but final dévolu au drainage est l’augmentation maximale du revenu net des exploitations intéressées; un drainage trop poussé, nécessaire pour réaliser une évacuation très rapide des eaux en excès, provoquera sans doute une augmentation importante des rendements bruts, mais conduira à un réseau de drains et fossés très serré et très dense, et l’accroissement des charges supplémentaires qui en résultera pourra fort bien ne pas compenser l’augmentation du revenu brut correspondant au supplément de récolte. En définitive, la détermination du débit que le réseau de drainage devra évacuer doit résulter d’une étude économique tendant à définir la solution optimale qui correspond au réseau réalisant l’augmentation maximale du revenu net des terrains drainés (pratiquement, pour les réseaux de drainage réalisés en France, on adopte généralement un débit spécifique de 1 litre par seconde et par hectare, mais, pour des réseaux importants, il est préférable de procéder à une étude économique permettant de définir le débit spécifique correspondant).

Drainage superficiel

Les dispositifs de drainage superficiel comprennent essentiellement: le drainage par fossés; les labours en planches, ados et autres techniques d’aménagements topographiques des parcelles facilitant le ruissellement et l’évacuation des eaux pluviales.

On se limitera ici au drainage par fossés . Le réseau de fossés à établir comporte des fossés de premier ordre recueillant directement l’eau dans les terres et placés presque parallèlement aux courbes de niveau (fig. 19), de manière à arrêter les eaux de ruissellement et également les eaux d’infiltration qui se déplacent dans les couches superficielles; ces fossés de premier ordre se déversent dans un fossé plus important, de deuxième ordre, creusé suivant la ligne de plus grande pente, que l’on appelle un collecteur; les collecteurs peuvent aboutir directement à l’émissaire où sont évacuées les eaux (cours d’eau ou canal d’évacuation) ou bien, suivant la complexité du réseau, ils peuvent se jeter dans d’autres collecteurs qui vont, eux, à l’émissaire.

Dans toute la mesure du possible, les fossés suivent les limites des parcelles, de manière à réduire les inconvénients qui en résultent pour l’exploitation des terrains; souvent, d’ailleurs, et chaque fois que cela est possible, l’assainissement est précédé d’un remembrement de la zone intéressée, de manière à réaliser une meilleure distribution des parcelles par rapport au réseau des canaux.

On donne aux fossés une pente de 0,5 à 3 p. 1000; leur écartement varie avec la perméabilité des terres et la durée admissible pour réaliser l’assainissement; il est de l’ordre de 20 à 80 mètres. Le profil en travers des fossés est trapézoïdal, la pente des talus variant avec les terrains.

Le système de drainage par fossés est sans doute bon marché, mais présente de sérieux inconvénients: perte importante de terrain, accès plus difficile aux parcelles, nécessité de réaliser des ponceaux pour traverser les fossés, entretien coûteux; de plus, le réseau de fossés constitue une gêne à l’emploi des machines et empêche l’évolution de la structure foncière. Néanmoins, ce système d’assainissement rend des services quand on doit évacuer de grandes quantités d’eau superficielle et qu’on veut assainir des surfaces à très faible pente.

Drainage souterrain

Exception faite du drainage par puits absorbants qui est une technique d’importance secondaire, le drainage souterrain consiste essentiellement à assainir le sol par des canalisations ou de simples galeries creusées dans le sol.

Un réseau de drainage souterrain est constitué de canalisations de faible diamètre intérieur (5 à 6 cm), disposées suivant des files parallèles et qui sont désignées sous le terme générique de drains; ils recueillent directement l’eau du sol et débouchent dans des tuyaux de diamètre plus important, ou collecteurs. Ceux-ci se déversent les uns dans les autres, et le dernier, le collecteur principal, se jette dans un fossé, un canal, un ruisseau ou une rivière, qui constitue l’émissaire du réseau de drainage; la jonction du collecteur principal avec l’émissaire s’effectue par un ouvrage qu’on appelle la bouche du réseau.

La profondeur et l’écartement des files de drains constituent les deux paramètres fondamentaux du drainage; leur valeur dépend de la perméabilité du sol, de la pluviométrie (durée des averses et intensité pluviométrique) et de la rapidité avec laquelle on désire abaisser la nappe souterraine compte tenu des nécessités agronomiques et économiques de l’assainissement.

En France, on adopte généralement, pour les profondeurs des drains, 0,90 à 1 m pour les prairies et 1 à 1,25 m pour les terres labourables; les écartements varient dans des limites beaucoup plus considérables (8 à 25 mètres).

Pendant longtemps, on a utilisé en France – et on utilise encore dans de nombreux pays étrangers – la poterie de terre cuite pour constituer les drains et collecteurs fabriqués mécaniquement et livrés en éléments de 33 cm de longueur posés bord à bord, la lumière subsistant à la jonction de deux éléments permettant l’introduction de l’eau.

On utilise maintenant des tubes annelés en matière plastique (PVC), percés de fentes ou d’orifices, et qui sont livrés sous forme de grandes couronnes permettant de réduire le nombre des joints et raccords et de réaliser une pose beaucoup plus rapide.

L’exécution des travaux de drainage, qui fut longtemps effectuée manuellement, est maintenant réalisée mécaniquement.

Les machines utilisées sont constituées d’un châssis portant le moteur et le poste de commande supporté par de larges chenilles, de manière à réduire la pression sur le sol. Cet ensemble supporte les pièces travaillantes qui correspondent aux deux catégories de machines suivantes:

– les trancheuses-poseuses , dont l’outil est constitué de godets à bords tranchants montés sur une bande sans fin ou sur une roue à axe horizontal (fig. 20 a) entraînée par le moteur; les déblais prélevés par les godets sont déversés sur une bande transporteuse transversale qui les dispose en cordon continu le long de la tranchée. À la partie inférieure de la pièce travaillante débouche une goulotte (non représentée sur la figure) des drains en poterie ou en matière plastique qui sont approvisionnés depuis la surface du sol. La vitesse de pose de ces trancheuses peut atteindre 500 m par heure dans des sols favorables;

– les draineuses à outil-taupe ou à dent (fig. 20 b) dont la pièce travaillante est constituée d’une dent fixée à la partie inférieure d’un coutre-étançon, et qui permet de creuser dans le sol une galerie à l’intérieur de laquelle le drain est mis en place par l’intermédiaire d’une goulotte alimentaire débouchant immédiatement derrière la dent.

La vitesse de pose est sensiblement plus élevée que celle des trancheuses-poseuses et peut atteindre 3 000 m par heure dans les meilleures conditions.

Une qualité essentielle de l’exécution des travaux est la régularité de la pente des drains, en évitant absolument les contre-pentes qui provoqueraient des réductions de vitesse entraînant des risques de dépôts et de colmatage du conduit. Le procédé le plus simple pour assurer le bon réglage de la pente est la visée optique sur des nivelettes placées en avant de la machine; l’opérateur agit sur le vérin commandant la profondeur des pièces travaillantes, de manière à maintenir un repère solidaire de l’outil constamment aligné avec les nivelettes. Ce procédé est très précis mais nécessite une attention soutenue de l’opérateur; son emploi devient difficile dans le cas de grandes vitesses de pose. On peut alors utiliser le téléguidage par radio: un opérateur équipé d’un émetteur radio placé à l’extrémité du drain guide la machine à distance par l’intermédiaire des ondes émises qui actionnent des électrovannes commandant les vérins. Le procédé le plus récent est le guidage par rayon laser. Le
générateur est un laser à gaz du type hélium-néon qui produit un rayon de lumière rouge dont le faisceau est très bien collimaté. Cet émetteur est placé sur une platine montée sur un trépied et munie d’une lunette dont on peut régler l’inclinaison de façon que la pente du rayon émis soit égale à la pente du drain à poser. La pièce travaillante de la machine porte un bloc récepteur constitué de cellules photoélectriques superposées verticalement; lorsque le faisceau lumineux s’éloigne de la cellule centrale pour atteindre les cellules inférieures ou supérieures, l’impulsion électrique qui en résulte actionne les électrovannes qui, par l’intermédiaire de vérins, commandent la descente ou la montée de l’outil. Le dispositif peut encore être perfectionné en permettant à l’émetteur de tourner autour d’un axe vertical de manière que le faisceau lumineux engendre un plan, ce qui permet de commander simultanément plusieurs machines travaillant sur le même chantier.

Drainage en galeries ou par charrue-taupe

À l’aide d’une machine appelée charrue-taupe ou charrue draineuse, on pratique dans le sol des galeries qui remplacent les files de drains. La charrue draineuse est essentiellement constituée par un age sur lequel est fixé un étançon portant à son extrémité inférieure une sorte d’obus (fig. 21). La machine est tirée (sens de la flèche) soit par un tracteur, soit, de préférence, par un câble s’enroulant sur un treuil placé à l’extrémité de la future galerie ; l’obus, en se déplaçant dans le sol, écarte la terre et laisse derrière lui une galerie à section circulaire dont les parois fissurées laissent passer l’eau.

L’obus peut avoir une pointe axiale (fig. 22 a) ou encore une pointe déplacée vers le bas (fig. 22 b), ce qui donne de l’«entrée» à la pièce et supprime la tendance au «déterrage» de la charrue; en outre, cette forme en sifflet permet de mieux couper les racines et de rejeter les pierres et cailloux vers le haut où ils s’incrustent dans la voûte de la galerie, qui risque moins d’être érodée par la circulation de l’eau.

Quelquefois l’obus, d’un diamètre plus petit que la galerie à ouvrir, porte à sa partie postérieure un court cylindre ou un boulet (fig. 22 c) de diamètre égal à celui de la galerie. Ce dispositif permet de mieux lisser la paroi de la galerie et surtout de faire des drains de diamètres différents avec une seule machine, simplement en changeant le boulet; en outre, cette pièce bouche la fente laissée par le coutre dans la voûte de la galerie.

Comme l’effort de traction croît très vite avec la profondeur, les galeries sont généralement creusées à une profondeur variant de 0,30 à 0,50 m, ce qui conduit à prévoir un très faible écartement de l’ordre de 2 à 4 mètres.

Une telle méthode de drainage est sensiblement plus économique que le drainage traditionnel par tuyaux de poterie; la dépense est de l’ordre du tiers de celle d’un drainage classique. Toutefois, le drainage en galeries ne peut convenir que dans les terrains plastiques (teneur en argile égalant au moins 15 à 20 p. 100); dans les terrains trop limoneux ou sableux, les galeries auraient une durée trop éphémère.

À cette technique peut se rattacher le drainage par sous-solage qui consiste à faire éclater le sol sur une épaisseur suffisante (de l’ordre de 0,50 m) à l’aide d’une sous-soleuse à pointes; alors que le drainage en galeries doit être effectué, de préférence, lorsque le sol est humide, de manière à diminuer l’effort de traction et à réaliser un bon moulage des galeries, le drainage par sous-solage doit au contraire être pratiqué lorsque le sol est sec et dur pour favoriser sa fissuration et son éclatement.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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